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Saint-Charles. Tremblante de colère, Thérèse se redresse et son regard chargé va du papier où zigzaguent les lignes menteuses à la blanche main qui allonge là, tout près, de fins doigts d’aristocrate, où luisent des diamants. Elle suffoque, la fille du patriote, et elle songe, à cette minute, qu’autrefois il y eut, là-bas, dans les lointains du fleuve, une fillette de son sang et de sa race qui écrivit dans un fort de pieux, au bord des eaux, une incomparable page d’histoire, page de Légende dorée, naïve et sublime à la fois, fière, pure, attendrissante !… Dans l’esprit de Thérèse, fouetté par le souffle de l’indignation, cette page parmi tant d’autres héroïques, vibre, frissonne, bat et claque comme un drapeau ! Cette page elle ne veut pas, elle, femme canadienne-française, qu’une main britannique la rature, la viole, l’abolisse ! Un éclair lui passe au fond des yeux ! Elle saisit la plume qui a roulé là, sur le papier ; elle la trempe, fébrile jusqu’au fond du grand encrier d’argent et d’une main assurée, celle dont ses ancêtres savaient conduire la charrue et tenir l’épée, elle écrit obliquement quelques mots au beau milieu de la page inachevée. Puis, emportant le plateau, elle sort sans bruit.


… elle écrivit obliquement quelques mots au beau milieu de la page inachevée…

Durham dormait toujours.

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