Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses ses maîtresses. L’influence d’une amie de couvent lui a trouvé du service au Château, où sa belle éducation et son air distingué lui concilient le respect de tous.

Et tout à coup parce que les souvenirs assaillent éperdument son cerveau, il lui prend une envie folle de savoir ce que disent ces pages éparpillées là, sur la table. Elle voudrait connaître ce que peut bien penser des Canadiens, des rebelles d’hier, des morts et des détenus d’aujourd’hui ce large front sur lequel la flamme inconstante des bougies fait l’éternel jeu de la lumière et de l’ombre. Elle s’approche par derrière sans faire plus de bruit que les rayons de la lune sur la marqueterie du plancher. La voilà qui se penche tout près ! Sa figure touche presque celle de l’auguste dormeur et son souffle l’effleure ! S’il se réveillait ! Mais non ! il dort bien et ses épaules soulèvent régulièrement la fourrure de la pelisse.

Elle lit… Et soudain son fin visage se contracte et pâlit. Elle vient d’arriver aux lignes sur lesquelles le gouverneur a laissé tomber sa plume. Et presque en haut d’une page, elle lit et relit ces mots tracés d’une écriture anguleuse et hautaine qui sue l’orgueil et le mépris : « Ils sont un peuple sans histoire… »

On n’est pas impunément petite-fille d’un voltigeur de Châteauguay et fille d’un vaincu de