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porte sur un plateau le thé et les pâtisseries légères que tous les soirs, son labeur de plume achevé, le gouverneur prend avant de se retirer.

La jeune fille s’arrête. Il est beau ainsi le noble Lord, avec sa dernière pensée figée sur ses traits énergiques. Et pourtant, elle le pressent, cet éblouissant gentilhomme, ce Chevalier Grand-Croix de l’Ordre du Bain, c’est l’ennemi de sa race, et cette plume qui vient de tomber là, en travers du papier c’est l’arme terrible — autrement puissante que la torche de Colborne — qui s’aiguise contre les siens.

Très émue, elle pose légèrement le plateau sur un guéridon. La petite Canadienne, élève des Ursulines de Québec, n’est pas une ignare. Elle a lu les annales de son pays et reçu la riche tradition du vieux monastère qui garde comme un trésor les toutes premières pages de notre histoire, de cette histoire belle comme une chanson de geste, pure comme une enfance ! Et pour aimer son pays, elle a d’autres raisons encore, très bonnes !… Son père, Jean-Louis Bédard a été tué à Saint-Charles, en combattant pour ce qu’il croyait être la cause de la justice et de la liberté. Elle a vu brûler la maison paternelle, et c’est pour cela que la petite Thérèse Bédard, héritière d’une vieille lignée bourgeoise du Richelieu, est revenue aux lieux de son enfance vers les bonnes religieu-