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l’effort intérieur, la figure du gouverneur s’accusait dans la lumière voisine des bougies. Les yeux intelligents et mobiles, les lèvres serrées, les deux plis obliques naissant des ailes du nez et contournant de loin les commissures des lèvres composaient ce masque byronien si frappant et si redouté des ministres d’Angleterre. Par cette nuit fraîche de septembre, l’homme avait jeté sur ses épaules l’ample pelisse au col fourré d’où la chaînette d’or retenue par un saphir, pendait négligemment.

Lord Durham se leva tout à coup et marcha vers la fenêtre ouverte. Une fois de plus l’incomparable panorama qui, dès le premier soir, avait enchanté son âme d’artiste, s’empara de ses yeux, desserra l’étreinte de son cerveau, détendit ses nerfs fatigués. Les ruines du Château Saint-Louis s’entassaient, tragiques, sous ses yeux. Mais pour ce nouvel arrivant, pour ce patricien d’Angleterre, les débris calcinés auprès desquels venaient chaque jour rêver les vieux citoyens de Québec, n’avaient pas de voix. Ces murs écroulés résumaient pourtant la brillante aventure coloniale de la France en Amérique, ses espérances et son agonie. Mais que lui importait ! Il n’était que depuis mai dans un pays dont le récent passé ne lui était connu que dans ses facteurs politiques. Chargé d’une mission d’étude et de pacification,