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le soir, après le souper, il prend sa hache et s’en va sur son lot à lui. Quand je lui dis que c’est trop travailler pour un enfant de quatorze ans, savez-vous ce qu’il me répond ?… « Faut bien que ça se fasse ! »…

En regardant Joseph qui, penché au-dessus d’un plat sur le seuil, se lavait énergiquement la figure avec ses mains, le curé songeait à la profondeur de ce mot d’enfant : Faut bien que ça se fasse !… Oh ! la force obscure, anonyme, mais irrésistible, qui pousse en avant ces Français d’Amérique !… Il faut que la forêt recule pour que la race avance !… Il faut que de nouveaux sillons s’ouvrent dans les lointains du Nord, car il s’en ferme dans les vieilles paroisses et aux abords des villes… Il faut bien que ça se fasse !… Oui ! Pour que la sainte simplicité de mœurs ne disparaisse pas !… Pour que l’âme canadienne ne perde pas sa trempe !… Pour que dans un siècle, et deux, et trois, et toujours, les clochers puissent encore chanter français sous le ciel laurentien !…

Se haussant sur la pointe du pied, une fillette vint dire un mot à l’oreille de son père. Le curé remarqua qu’elle aussi avait le visage piqué des mouches.

— Vous souffrez beaucoup des mouches ?…

— Oui, ben gros, monsieur le Curé, surtout de ce temps-ci. On a ben hâte que les grosses cha-