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elle montrait le poupon sur son bras — que le bon Dieu nous a envoyé il y a trois semaines.

Il restait encore deux bambins, un petit blond avec des cheveux demi-longs, et un autre dont les yeux noirs s’obombraient d’une mélancolie bien anormale à cet âge. Le premier portait une combinaison de coutil clair ; l’autre était habillé de noir.

— Ces deux-là, je ne les connais pas !…

— Vous les avez baptisés, monsieur le Curé. Ils sont nés en-bas, mais ils étaient bébés quand on est parti. Ce petit blond-là s’appelle Lucien ; le noir, c’est mon Jean. Il est bien permis de l’aimer plus que les autres, le pauvre petit : il a été si longtemps malade qu’il est resté infirme !…

L’enfant, en effet, avait un pied bot. Le curé l’enleva dans ses bras, et comme il l’embrassait, il se souvint d’une page attendrissante lue aux heures tranquilles du presbytère, où Dickens raconte Tiny Tim, un petit infirme comme celui-ci, et son influence assainissante et bénissante au foyer des Cratchit. Il pensa que sur tous les rameaux de l’arbre humain, même les plus forts en sève, il y a des boutons qui ne s’ouvrent pas, des existences mutilées dès le germe, des êtres de souffrance que Dieu met là comme des crucifix vivants pour rappeler la grande loi de l’expiation, pour multiplier l’amour et la charité !…