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ment, le fugitif revint — bien changé — s’asseoir au foyer des Lévesque. Il fut accueilli de tous avec ce tact suprême de la vraie charité, sans une question, sans un reproche, comme si rien ne s’était passé, comme s’il fût revenu d’une promenade de trois jours. Ce qui suivit est un des banals chapitres de la méchanceté humaine : manœuvres habiles pour surprendre les faibles facultés du vieillard ; intervention opportune d’un quelconque notaire, venu de Montréal pour faire signer au malade, en l’absence de Jean-Baptiste, une donation complète en faveur de l’aîné ! Le père mort et le testament ouvert, Honoré avait donné à son frère huit jours pour déguerpir avec ce que lui, célibataire, appelait brutalement « sa bande de morveux » !

Un missionnaire colonisateur connut cette grande misère et offrit ses bons offices pour assurer au proscrit des facilités de transport et un bon lot dans les terres nouvelles.

Et voilà pourquoi, par cette matinée d’hiver, le pauvre Lévesque quittait pour toujours Saint-Hilaire, sa montagne, son verger, le pâturage en pente où le printemps semait les cornets écarlates des ancolies et d’où, l’été venu, l’on voyait le Richelieu profond couler tout d’argent sur le damier des champs, et les deux églises de Saint-Hilaire et de Belœil, face à face et toutes pareilles,