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PRÉFACE

Ainsi, révélateur, il le paraît surtout quand sa pensée se hausse à des cimes scientifiques, et que de ces hauteurs sereines, il embrasse d’un regard plus large et plus conquérant les réalités natales. La Terre canadienne, vue à travers la vision plus lumineuse du savant, a moins de traits anonymes et lui dévoile le sens de ses lignes géologiques. Son antiquité lui parle à travers la jeunesse du présent, elle lui parle aux bords des lacs morainiques et dans l’érosion des caps figés sur le Saguenay noir, elle nombre à ses yeux les vicissitudes des millénaires. Sa physionomie, ainsi regardée, est un livre tragique où il peut lire la lutte apaisée des forces primitives. Initié au pourquoi des lignes de son front sévère, il comprend le désert labradorien, et le Nord immobile s’anime pour lui de la vision des déchirements du monde, de son modèlement définitif sous les masses glaciaires.

Ainsi le terroir n’est plus seulement la motte de terre ennoblie de labeur humain, le champ où s’attache l’espoir du semeur, où survit l’âme des ancêtres. Le terroir est plus que cela dans sa rêverie rétrospective. Il fut, il y a des siècles, le témoin du wigwam errant ; il a mêlé dans l’oubli les os des guerriers rouges aux végétaux disparus, et sa fécondité qui donne le pain, est faite de la mort des forêts. Et, quand des apparitions lointaines d’Épinettes mortes, de Mélèzes, de Bouleaux, de Pins, de Pruches et d’Ormes, viennent pleurer leurs siècles sur l’horizon dénudé, il songe combien la Terre a eu de ruines avant de devenir le berceau du jeune peuple dont il incarne la pensée.

Tel, le Frère Marie-Victorin a déjà servi par sa pensée son pays, unique au monde, comme le chante Crémazie, mais resté encore, bien peu connu. Pour la contemplation des siens, il a fixé les nuances des pâles ciels du Nord, les horizons parfois si rudes où s’attache la vie de nos défri-