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grange octogonale, de toutes ces choses qu’il ne reverra plus, qu’il ne veut plus revoir.

La veuve de Basile est déjà dans la voiture. D’un pas rapide l’homme marche vers le fond de la cour et jette un long regard sur les guérets qui s’en vont à rangs pressés vers Gentilly, sur les deux gros mulons de paille au bout de l’horizon, sur le Bois du Lac d’où émerge le groupe erratique des gros pins noirs.

C’est bien fini ! Il est clos, le rêve simple et tenace de s’identifier au sol natal, de s’enraciner à lui pour toujours. Et à cette minute, sa vue s’embrouille, il lui semble voir tous les anciens Delage accoudés auprès de lui : l’ancêtre, l’officier de cavalerie dont il a les pistolets et le sabre ; Jean, l’aïeul, dont le profil courbé et l’éternel tablier de cuir hantent ses souvenirs lointains ; Alexis, le père, qui chantait toujours en revenant des champs la vieille chanson d’amour, sans doute apportée de France sur la selle de l’officier :


« Dès le matin au point du jour
« J’ai entendu chanter l’amour ! »


Saisi par tous ces revenants, le vieux Delage s’appuie à la clôture et se met à pleurer ! Sa forte poitrine se soulève violemment sous les sanglots longtemps contenus, les larmes coulent