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Une seule solution, douloureuse ! Faire encan du roulant, mettre la terre en vente, s’en aller au village de Longueuil avec les autres, les traîtres ! L’épreuve suprême, venue de la main de Dieu !…

C’est ce matin l’adieu définitif. Sur le pignon de pierre grise la rosée pleure sur les tristes mots : « Terre à vendre. » Déjà les portes des bâtiments sont cadenassées, les fenêtres condamnées. Après la mort des gens, la mort des choses ! Plus de beuglements, plus de gloussements ! Peut-être parce qu’il n’a pas, à son habitude, entendu la voix claironnante des coqs, le soleil reste caché derrière le lourd écran des nuages. La voiture tout attelée attend devant la porte ; le gros du ménage est parti et demain, un mercenaire quelconque viendra prendre les dernières épaves : quelques chaises, la lampe, le vieux lit des ancêtres, qui, le dernier, sortira de la maison.

Ce départ est une agonie pour le vieux Félix. Il erre devant la porte, sans but, écoutant une dernière fois le murmure du vent dans le gros saule, pendant que ses filles et les deux enfants ferment les volets. Il porte, ce matin-là, son capot d’étoffe et son feutre noir. Il regarde tout et partout, s’emplit les yeux de la tonnelle où la vigne reverdit, de la vieille meule qui faisait luire les faux et dont personne n’a voulu, de la