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Basile. C’est fini ! Ah ! Dieu est juste, sans doute ! mais pour nous sa justice est parfois bien obscure ! Pourquoi semble-t-il s’acharner à ruiner une famille qui l’a toujours servi dans la sincérité de son cœur ?

Le père Félix se lève et sort sur la galerie. L’air est gris, et sur les grands champs déserts tombe, comme à regret, une neige douce et moelleuse. Déjà sur les labours l’angle des mottes s’argente. La terre, elle aussi, meurt, et pour l’un et pour l’autre, le ciel compatissant, tisse un suaire…

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Le printemps est revenu et avec lui la joie du soleil chaud, les grands coups de sève dans les bourgeons et, au fond de l’herbe, le puissant réveil de la vie.

Le père Delage a encore vieilli. On n’entend plus, dans la maison que le pas menu des femmes et le babil d’Alfred et de Joseph, les orphelins de Basile. Faute de bras, la terre, la bonne terre des Delage, pour la première fois depuis deux cents ans, va rester en friche. Les sillons ouverts par Basile ne seront pas fermés. Les herbes proscrites vont prendre leur revanche et bientôt il n’y aura plus sur les beaux champs, au lieu du blé d’or et de l’avoine mouvante, que moutarde, herbe pouilleuse et chicorée.