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de ces mots étrangers, sans rapport avec la situation, les seuls que les grandes douleurs savent trouver.

Le père Delage a bien changé. Un mal inconnu, un mal de vieillard lui étreint le cœur. Il ne travaille plus. C’est à peine s’il peut, à pas lents, se rendre au bout du pacage. Sa vie se restreint, se circonscrit. Elle tend visiblement vers son centre, vers la terre qui l’accueillera bientôt. Et cette dernière douleur va l’achever. Il les repasse toutes, ses douleurs, les anciennes d’abord, pendant que devant le poêle, il chauffe ses pieds frileux. Dans un coin de son vieux cœur, toujours tendu de noir, il réveille le souvenir de sa femme à lui, trouvée morte un matin à ses côtés. Il se revoit comme si c’était hier, sortant de la chambre pour annoncer aux enfants qu’ils n’ont plus de mère. Puis, c’est le départ d’Herménégilde pour la communauté des Frères des Écoles Chrétiennes. Un an, et la porte de la vieille maison s’ouvre encore pour laisser passer pour toujours Marie-Angèle, qui s’en va revêtir la livrée grise de la Charité. Enfin, c’est l’horrible tragédie de l’été dernier, la faucheuse ensanglantée, la masse de chair meurtrie, sur le grand lit, là-bas !

Maintenant, le dernier fils va le quitter aussi : le prêtre et le médecin, tous deux, ont condamné