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se fit dans la cuisine. Au bout d’un long moment, Basile entra à son tour et posa sur la table la cruche enveloppée d’un linge blanc. Sans un mot, il pendit à une fiche de bois son grand chapeau de paille et marcha vers la pompe en retroussant ses manches.

Le père Félix, nerveux, quitta sa chaise et sortit sur le chemin. Le soleil se couchait glorieux dans des nuages pourpres sur lesquels se découpaient nettement la courbe molle du Mont-Royal et le fin clocher de Longueuil. Dans les champs, les grands ormes épars commençaient à régner sur le soir, et leurs rameaux paresseusement agités, lutinaient dans le silence quelque chose d’invisible. Mais pour le vieillard toute cette paix du soir s’abolissait par la provocation de la longue affiche brutalement interposée entre le ciel et lui, et qu’il aurait désormais devant les yeux semaine et dimanche, par tous les temps, par le soleil et par la pluie, narguant sans cesse sa foi profonde et son amour de la terre !

Les ouvriers, leur travail fini, regagnaient le camion qui trépida un instant, puis dérapa soudain en soulevant la poussière blanche de la route. Et Félix Delage resta là, appuyé à la barrière, entre les deux massifs de lilas, à regarder le champ profané où couraient encore des frissons de lumière rose.