Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.

évidente, un affinement de langage et de manières peu connu chez nos habitants.

Félix Delage appartenait à cette vieille école de croyants qui ont la sagesse d’accepter la religion — comme la vie elle-même — tout d’une pièce et, sous la chaire de l’église de Longueuil, il n’était pas plus belle famille que la sienne. Mais l’amour de la terre, l’enthousiasme pour la culture, — la vraie culture : intelligente, raisonnée et méthodique, — distinguait surtout cette belle nature d’homme. L’étable octogonale, construite d’après des plans à lui, était une merveille d’ingéniosité, connue de vingt milles à la ronde. Fondateur et président du Cercle agricole, il était depuis trente ans le conseiller, le modèle, l’âme de tous les cultivateurs du Chemin de Chambly.

Et voilà que sur le retour, le vieil agriculteur voyait crouler son beau rêve de rénovation agricole. La folie de la spéculation immobilière, après avoir ravagé l’île de Montréal, débordait à présent sur la rive sud, submergeait les abords du vieux Longueuil et s’avançait dans la campagne. Comme de malsains champignons, surgissaient au milieu des champs les petites cabanes carrées et hideusement badigeonnées des agents d’immeubles. Les affiches disgracieuses se levaient partout de l’herbe, épitaphes monstrueuses d’un immense cimetière, celui de la vieille terre