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PRÉFACE

les sources inspiratrices. Il y a en plus l’histoire. Et l’histoire lui ouvre un large domaine d’évocation. Le Passé où dorment les ancêtres se lève parfois de sa cendre et lui parle. Et cette voix lointaine, il lui plaît de l’écouter, un matin, l’âme tournée vers le grand fleuve, la route royale, comme il l’appelle, et qui pénètre au cœur du vaste pays. Il écoute l’histoire occulte des rivages lui chanter sa plainte, et c’est le cri obstiné d’un peuple qui veut survivre, « c’est le cantique assourdi et très doux que fait sa vie sous ce vaste ciel et qui monte vers lui comme l’une des plus belles strophes du poème humain. »

Et tandis que sa pensée alterne entre le silence de l’aube réelle, et le cri d’une aube morte, tandis qu’un voile de brume traîne sur l’eau, les quais flottants, les mâts et les étraves, voici comme l’histoire s’évoque en son esprit :

C’est un cap vierge, Stadaconé, il y a plus de trois siècles… La France avec la Croix et les Lys apparaît sur le fleuve indien et lui donne trois villes… Puis la Mère de cette France nouvelle abandonne son enfant à l’hostilité de l’Amérique sauvage. Québec pourtant, garde pieusement son germe de patrie. Il le garde malgré la peine qui lui serre le cœur et lui mouille les yeux, depuis le jour où sa Mère, ramenant ses belles voiles, ses beaux seigneurs, sa claire épée le laissa seul sur son cap avec seulement quelques clochers, et son doux parler, pour survivre. Depuis, la nostalgie de France, tournée vers le Golfe avec les vieillards songeant, pleure sur le haut rivage. Pourtant on sait souffrir et sous les plis d’un autre drapeau, on garde le sol avec ses empreintes françaises. Et sans défaillance au cœur des villes primitives les soixante-dix mille colons délaissés n’ont pas voulu mourir à la pensée française… Durer ! le fier instinct, la loi de leur sang !… durer pour qu’il demeure sur