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VILLE-MARIE

encore, et les empreintes lunulaires laissées par le pied des bêtes sont de petites coupes toujours tendues vers les nuages. Aussi, à peine le ciel a-t-il, d’aventure, versé quelques seaux d’eau, que la glaise s’attendrit, entoure amoureusement vos pieds devenus les nucléus de deux mottes informes qu’il vous faudra porter jusqu’au grattoir le plus prochain !… Heureux pays tout de même où, cirer ses bottes étant généralement considéré travail de Danaïdes, on peut encore, avec des pieds crottés, faire figure d’honnête homme !

Donc, ce matin, les barouches passent sur le chemin de glaise. Pour des yeux citadins, le défilé ne manque pas de pittoresque. Voici, par exemple, une bonne vieille jument grise qui, secouant à chaque pas sa crinière poivre et sel, berce doucement un vieux à collier de barbe… Quelque cent pas plus loin, sur une planche, une femme en noir, un garçonnet en blanc coiffé et d’une de ces petites cloches de toile bleue que les enfants portent maintenant, comme la cocarde du ciel d’où ils descendent !… Qui donc a dit que le bleu se mourait ?

Ville-Marie a déjà du caractère, malgré des signes mal dissimulés de trop grande jeunesse : larges rues sans pavé, allure empressée des constructions de bois neuf. Ville-Marie n’est pas, certes, comme certains coins de notre province — l’Île-aux-Coudres par exemple — un reliquaire où le