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CROQUIS LAURENTIENS

ces lacs laurentiens que nos géographes ont pris l’habitude de ne plus compter ?… D’ici, impossible de deviner le Témiscamingue magnifique et royal, développé au nord et au sud.

La Pointe-au-Vent est ce matin d’un joli vert bouleau piqué de noir sapin, et, à son fin nez de granit rose, le flot passant met une moustache d’argent. Au loin une barque glisse et sautille sur la petite vague nerveuse et retroussante ; elle anime seule la Baie, car le vapeur est parti tout à l’heure, abandonnant dans le bleu gris du ciel, quelques spires de panache vite déroulées par la brise légère. Hier, la Baie riait et jasait, car il faisait glorieux soleil et grand vent, — ce que les hommes de mer appellent un superbe mauvais temps. Aujourd’hui, elle est grave et se tait ; on n’entend plus que le long cri des oiseaux inquiets et le crissement léger des barouches dans la glaise demi-sèche.

La glaise du Témiscamingue ! richesse du pays ! mère nourricière de l’herbe haute, du beau mil, des avoines oscillantes et du blé d’or !… Aimez-la bien, cette bonne terre du Témiscamingue ! Elle vous paiera de retour en s’attachant à vous indissolublement, car la pluie qui la détrempe et la malaxe en fait la substance la plus gluante, la plus prenante qu’il soit possible d’imaginer. Comme les dieux, la glaise a toujours soif ! Le soleil ne l’assèche que pour lui permettre de boire