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VILLE-MARIE

De l’autre côté du lac, l’Ontario se réveille, tout rose sous le pâle soleil du matin — effet de granit et de bois sec. Si j’avais vingt ans de plus ou vingt ans de moins, je ne reculerais pas devant la vénérable métaphore et, une main sur la balustrade et l’autre tendue en supination vers l’occident, je m’écrierais tout ému : « L’aurore aux doigts de rose !… »

À voir cette falaise régner, déserte, tout le long de l’horizon, qui soupçonnerait que l’argent court dans les veines rigides de cette terre granitique et que, à deux milles en arrière, tout un petit peuple accouru des quatre coins du monde où l’on pâtit, fouille fiévreusement les entrailles de la pierre. Cobalt ! la « Silverland » ! L’argent, le grand levier du monde… à moins qu’il n’en soit le point d’appui ! L’argent stérile et froid, puissance terrible qui démuselle les canons et fait taire la justice, l’argent ouvrier de la haine et gaspilleur de sang !… La pensée, un instant entraînée au dehors par ce mot qui brille, revient tout naturellement vers Ville-Marie qui dresse en face de ce progrès fongique le vieil idéal agricole : l’amour de la terre, pour la vie qu’elle crée et qu’elle multiplie, pour les races humaines qu’elle nourrit et féconde.

À cause de la Pointe-au-Vent et de la Pointe-au-Cèdre qui l’entourent de leurs bras de pierre, la Baie paraît fermée. Ne dirait-on pas un de