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LE LAC TÉMISCAMINGUE

résolvaient dans le lointain, en une soie gris perle continuée par la pâleur du ciel.

Les rives du lac Témiscamingue sont saguenayennes. C’est dire d’un seul mot que le granit lépreux et nu, figé dans une attitude éternelle, tombe à pic dans le flot noir qui passe lentement, mais passe toujours ; que dans les ravines, coins de fraîcheur et d’ombre, le vert tendre des bouleaux adoucit le noir solide des masses de résineux. Mais le feu a ravagé par endroits, découvrant la blancheur des fûts et la grisaille de la roche, et l’on dirait, à cette distance, une moisissure blanche attachée au flanc d’un monstrueux cadavre !…

À mesure que l’on remonte le lac, le paysage s’élargit, l’eau et le ciel se rapprochent et les blanches mouettes font gentiment la liaison de l’un à l’autre. Est-ce pour reposer leur aile fatiguée que le manitou du lac a fait surgir de distance en distance, ces minuscules îlets où quelques pins cyprès tordent leurs bras verruqueux ?… Peut-être ! Et pourquoi pas ?… Les poètes ignorent-ils donc que tout dans la nature est appui et secours !… On sait bien que la fleur s’emmielle pour enivrer l’abeille, que le rocher se fend pour abriter la campanule et que les ramilles se façonnent pour retenir et bercer les nids ! Ne peut-il y avoir, à l’usage des êtres qui ne sont pas nous, un autre évangile de charité, un évangile