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CROQUIS LAURENTIENS

Long-Sault, ils entrèrent, avec le printemps, dans les eaux profondes du Lac Témiscamingue. Et j’entends la vieille chanson normande,

Quand la nature est reverdie,
Quand l’hirondelle est de retour,
J’irai revoir ma Normandie :
C’est le pays qui m’a donné le jour !


fondue avec le susurrement des avirons. Et je les vois, les grands canots cousus de fibres, aux proues en crosse, débordant de feutres larges et de pourpoints de cuir, glisser sur l’eau profonde entre les murailles granitiques de cette gorge qui, insensiblement, sans hâte, s’élargit et devient, sans que l’on y prenne garde, une petite mer intérieure. J’imagine que les yeux des hardis enfants de Charles Le Moyne, habitués cependant à la silencieuse virginité des paysages canadiens, durent fouiller avec inquiétude l’effrayante profondeur de cet horizon aux plans multiples, et admirer la chevauchée, sous le grand ciel, des hautes collines venant les unes après les autres s’affaler brusquement sous l’eau, — gigantesques décors d’une vaste scène de plein air où, à l’aurore du monde, auraient joué des dieux marins !…

J’ai vu ce paysage par un jour où la pluie, en s’enfuyant, avait oublié sur les sommets et les falaises une mousseline de brume. À la surface de l’eau, de petits flots écaillés d’argent enchâssaient les tons chauds des billes flottantes, et se