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LE ROCHER PANET

de, qui est peut-être une histoire. Tout le monde là-bas la sait par cœur ; on l’a écrite et j’ai devant moi une brochurette signée : J. T. Jemmat, qui la narre avec enthousiasme. Écoutez :

« Une misérable dont la légende a étouffé le nom et la honte, avait osé vendre au démon, en échange de déshonorantes passions, son âme immortelle, et ses éternelles félicités. L’esprit impur ne parut pas satisfait du marché ; il voulut aussi posséder le corps de son infortunée victime. Abusant de sa puissance, son infernale malice la jeta sur le rocher qui ne présentait pas l’aspect triste d’aujourd’hui : on eut dit une émeraude flottant sur les ondes, étalant la verdeur des arbrisseaux et les teintes de ses fleurs. Mais sitôt que le pied maudit la vint toucher, les corolles se replièrent flétries, les arbrisseaux périrent desséchés !

« Depuis plusieurs semaines, semaines d’angoisse et d’épouvante, elle était là, cheveux épars, secouant des bras noircis, clamant plus fort que les vagues. Souvent dans l’exaltation et les crises de désespoir, la malheureuse se précipitait éperdue au milieu des flots, et les flots effrayés la remettaient soudain sur son rocher et s’enfuyaient d’horreur !

« La paroisse entière fut le témoin atterré de ces scènes lugubres ; nul ne les pouvait envisager sans frémissement, et quelques-uns mou-