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CROQUIS LAURENTIENS

île, la seule qu’il y ait sur le lac redevient mystérieuse et l’on se reporte irrésistiblement vers le passé, — car le lac des Trois-Saumons a un passé ! L’on songe aux vieux seigneurs de Saint-Jean-Port-Joli qui montaient ici avec leurs amis indiens pour exploits de pêche et de chasse. Ils ont bivouaqué là, sur l’Île, certainement, et le bois sec ne pétillait pas plus fort que leur intarissable gaieté. Je vois le père Laurent Caron « jambé comme les orignaux qu’il chasse » dire aux jeunes de Gaspé la légende de Joseph-Marie Aubé, un mauvais sujet, mort ici, protégé cependant à l’heure dernière par une médaille de la Vierge, contre Satan, qui, sous la forme d’un ours, voulait l’emporter corps et âme. C’est elle, paraît-il, l’âme de Joseph-Marie Aubé, qui parle et se plaint dans les échos merveilleux du Lac des Trois-Saumons.

Mais tout cela n’est plus. Le manoir de Gaspé a été incendié et les seigneurs, engoncés dans leurs hauts cols d’antan, dorment sous l’église de Saint-Jean-Port-Joli. Depuis longtemps, les gros anneaux de fer du plancher n’ont pas été soulevés ! Le lac cependant porte le deuil du passé et garde son caractère de tranquillité et de silence. Quelques blancs chalets se cachent sur les bords et leurs noms même sont doux et apaisants : Marie-Joseph, Sans-Bruit, Mon-Repos, Fleur-du-Lac, etc. Chacun d’eux est un nid solitaire où