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LE LAC DES TROIS-SAUMONS

nappe limpide et nue, en me rappelant les lacs fangeux et fleuris où j’ai rêvé ailleurs, me fait songer aux bourbes morales et aux maux physiques qui, dans le monde, engendrent la divine fleur du dévouement !… Ce sont les misères et les vices qui font éclore les cornettes liliales des sœurs de charité, et, dans un autre ordre d’idées, nous aimerions moins le Christ si notre cœur, parfois, ne s’était égaré loin de Lui !

Sur les deux rives du Lac des Trois-Saumons chevauchent et se poursuivent des collines lâchement ondulées, longues vagues pétrifiées tout à coup, semble-t-il, et sur lesquelles campe l’innombrable armée des épinettes et des pruches. Au bord de l’eau, le cèdre règne. Les vieux troncs tombés, parce qu’incorruptibles et lavés sans cesse, sont tout blancs. Les souches arrachées par les printemps déjà lointains, blanchies comme des ossements et les racines en l’air, sont bien celles dont le crayon épique de Gustave Doré a illustré l’un des cercles de l’enfer dantesque. C’est ainsi du moins qu’elles apparaissent aux petites heures du matin, encore immergées dans la brume légère qui s’élève de l’eau, et le soir, lorsque le grand vent tombe et que la surface du lac devient de l’argent liquide où fuit la moire lumineuse tissée par les souffles perdus.

Au-dessus, de longs nuages blancs lamés d’or s’attardent dans notre ciel restreint. La petite