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LE LAC SEIGNEURIAL DE SAINT-BRUNO

pins noirs, les pins verts, au cœur des familles de bouleaux, au seuil des temples sans voûte des hêtrières.

Sur la lisière de l’eau, les petits saules émettent timidement la soie beige de leurs chatons. À toutes les branches des aulnes, de longues chenilles végétales secouent dans la brise froide une abondante poussière d’or, premier festin servi par la nature aux perdrix goulues, fatiguées de l’amère pitance des bourgeons résineux.

Au travers des feuilles mortes et des cailloux, les trinitaires, toujours pressées de fleurir, relèvent leur col fin, ployé pour le sommeil hivernal ; elles écartent leurs bractées pour déployer les capricieuses colorations de leurs calices : du blanc pur, du rose, du violet. Elles s’évertuent, semble-t-il, à suppléer toutes seules à l’absence des fraisiers, des violettes et des églantiers. Les abeilles qui font leur première sortie, les sont venues voir et fourragent déjà sans vergogne au fond des fleurs à peine ouvertes. Les villas sont closes ; les berceaux, vides et transparents ; les allées désertes. Les gazons ne verdissent pas encore, pas plus que les vignes vierges enchaînées aux sottes rocailles qui ont la prétention d’en remontrer à la nature. Le soleil joue en silence à travers le vaste parc, et les écureuils festoient sur les gros glands gonflés d’eau qui crèvent sur les pelouses.