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CROQUIS LAURENTIENS

de basalte au fond duquel palpite le lac, rien ne dérobe le tapis des dépouilles de l’autre saison, laminées et polies par le poids des neiges. La souple marqueterie des feuilles mortes épouse et trahit toutes les vallécules du sous-bois, met en valeur le pied moussu des arbres et les ruines lichéneuses des souches anciennes. Sur ce fond brun, si délicatement nuancé, jaillit en gerbe l’élan gracieux des fins bouleaux qui ont des calus noirs aux aisselles. Plus haut, là-bas, quelque chose me dit que cette vaporeuse teinte grise est faite de la multitude des rameaux encore nus de l’érable.

Les grands pins noirs, les grands pins verts — ils sont l’un et l’autre — saillent dans ce soleil de mi-avril. Rien ne gêne encore leur tête immobile et crépue, qui se silhouette vivement sur ce fond de clarté, comme pétrifiée dans le temps qui passe sur elle, toujours pareil. Mais, tout à l’orgueil de verdoyer quand la vie végétale est encore repliée, cloîtrée sous la capuce du bourgeon, ils oublient, les pins, que leurs feuilles ne sont que des épines dont la pérennité est un leurre ! Ils oublient qu’un à un, et se succédant les uns aux autres, les faisceaux d’aiguilles, les rigides aigrettes s’en iront rougir sur le sol nu, quand les autres arbres feuilleront de toute leur sève accumulée, quand les érables-rois ceindront des couronnes, quand les colonnades des hêtres se feront des chapiteaux. En attendant, ils triomphent, les