Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LA TRAVERSE

lointain. Les voyageurs s’émerveillent devant ce fleuve qui prend, quand il lui plaît, l’ampleur d’un bras de mer. Dans la vieille Europe, il baignerait des centaines de villes et refléterait les ruines pleines de passé d’innombrables châteaux. Ici, le fleuve roule ses eaux royales entre deux files de chaumières et se met en beauté pour d’humbles paysans.

Intéressante aussi pour l’étranger, la longue théorie des piliers du pont Victoria, qui semble, — effet de perspective — amarrer aux deux rives le radeau verdoyant de l’Île Sainte-Hélène, l’Île légendaire où les arbres vieillis racontent toujours le geste du grand soldat brisant sa bonne épée, et l’héroïque flambée des drapeaux vaincus.

La ville est là, aussi, dévalant la courbe molle du Mont-Royal, et vient de terrasse en terrasse, déborder sur le port encombré et grouillant. Le tableau fait rêver. Si le capitaine Jacques Cartier, après avoir dormi trois siècles, voulait enfin faire son cinquième voyage sur le « fleuve de Sainct-Laurent » son étonnement serait considérable de voir, remplaçant la bourgade d’Hochelaga et la forêt primitive, cette végétation serrée de gratte-ciel et de clochers, entre lesquels monte, noire et torse, la fumée de centaines d’usines !

Il ne faut pas oublier de saluer les deux vieux pilotes qui ont blanchi là-haut, à la roue,