Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LA TRAVERSE

pêche à la ligne, on les voit, par les après-midi du samedi ou les beaux dimanches, s’engouffrer dans le couloir de la rue Poupart qui, par une courbe soudaine, les déverse sur le quai, dans la pleine lumière d’un horizon bleu.

Semaine ou dimanche, beau temps ou mauvais temps, de cinq heures du matin à minuit, il y a toujours affluence au quai de la Traverse. Mais la plus grande activité s’y manifeste nécessairement aux heures du commencement et de la cessation du travail, et sur le haut du jour. Dans l’ombre d’une baraque grise, un policier, généralement du type dodu, laisse doucement couler les heures. Derrière un comptoir, à l’intérieur, les réclames coloriées, les chocolats insinuants et les cigares premier choix encadrent la figure joviale du fonctionnaire de la compagnie qui vend billets et douceurs, et donne pour rien sourires et bons mots. Le gros des passagers stationne sur le quai, et goûte, sans toujours bien se l’exprimer à soi-même, le charme du si joli tableau : un horizon très vaste, les petits flots olive caressant le cou mince de la grosse bouée rouge qui tire sur son ancre ; en face, à plus d’un mille, épousant les contours adoucis de l’autre rive, la dentelle de verdure, le pointillé blanc des villas, la flèche hardie de l’église qui dénonce le village embusqué dans les frondaisons.