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CROQUIS LAURENTIENS

grande mer déserte et la ligne noire des arbres trapus, serrés, arc-boutés pour ne faire qu’un seul toit continu à toute la forêt, la forêt primitive peuplée d’opulents herbages et de rarissimes orchidées. Sous nos pas, partout, les fraises rebondies, la carène pourprée des gesses vivides et l’œil bleu des bermudiennes, grand ouvert sur le ciel.

Je me risque au bord coupé du précipice pour y cueillir une touffe de bermudiennes plus magnifiques, que la falaise porte comme une fleur dans les cheveux. Je mets genou en terre et me penche ! Ô merveille ! Nous marchions, sans le savoir, sur l’entablement d’un temple monolithe, énorme et fantastique ! C’est que, depuis des siècles, de longs siècles de siècles, la mer ahane au pied de la muraille, travaille la roche tendre, creuse et broie, ciselle et polit ! Insensiblement elle a excavé des grottes, taillé des portails, effilé des aiguilles, dessiné des arcades, cannelé des pilastres. Et cette partie du rivage de Brion est devenue avec le temps une suite de portiques ouvragés, mystérieux et sonores, décorés à la sanguine, portiques décevants qui, comme les seuils de marbre des antiques cités de la forêt yucatane, ne mènent nulle part, et n’ont qu’un leurre de mystère et qu’un mensonge d’accueil… Toute cette effrayante débauche de sculpture pour que les noirs pigeons de mer puissent, bien