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LA GRANDE-ENTRÉE

miroir où le bleu règne en maître, du bleu plaqué de lumière, du bleu de ciel où passe lentement la nef démâtée des nuages errants. Au-delà, devant nous, affectant la forme d’un bonnet phrygien, s’étend l’immense Dune-de-l’Est, des milles et des milles de buttereaux et de vallécules de sable, d’étangs plantés de typhas, de bouillées de conifères rachitiques, aboutissant à la Pointe-de-l’Est, terrible croc qui happe sous le nord-est les malheureux navires déjetés par la tempête. Sur la surface fauve des Araynes — c’est ainsi que Cartier appela cet endroit — tous les verts se différencient : vert glauque des laiches gorgées de sel, vert blafard des genévriers, vert presque noir des épinettes souffreteuses, vert bleuâtre des grands cirpes qui, inlassablement, saluent leurs images effilées sur le miroir des étangs.

Ce désert où nous marchions hier et qui nous opprimait de son étendue et de sa solitude, nous impressionne encore davantage maintenant que nous le surplombons, que nous nous penchons sur lui comme sur une carte. Nulle vie animale ne semble y gîter. Les goélands même et les esterlais, ce matin, sont ailleurs. Rien que la lutte éternelle et muette des arbrisseaux de misère contre la puissante ruée du vent de mer, rien que la vie silencieuse des herbes de l’eau, que la vie frémissante des herbes dures que le sable nourrit et que l’aiguail abreuve… Mais non,