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CROQUIS LAURENTIENS

Toujours la même réponse, brève et désespérante. Un jour cependant, il pénétra dans la cuisine d’une grande maison de pierre au bord de la rivière. Une femme, lui tournant le dos, les bras enfarinés, pétrissait dans la huche.

— Avez-vous vu ma Julie ?

La femme se retourne, regarde le mendiant et pousse un cri :

— Ah ! Sainte Vierge ! C’est toi, Jacques ?

— Ah ! ma Julie ! ma Julie !

Grand émoi dans la maison ! Le fermier et sa femme, les enfants en nombre, entourent les deux Acadiens qui s’embrassent, s’enfarinent, rient et pleurent !

Recueillie par cette famille canadienne, Julie attendait, elle aussi, le cœur veillant, l’heure de Dieu. Pour des raisons difficiles à justifier, les deux heureux époux sont retournés à Salem, où ils ont fait souche comme l’on sait.

L’assemblée du Havre-aux-Maisons fut mise en liesse par ce récit qui, soit dit en passant, pourrait fournir le schéma d’un bien joli roman à un écrivain capable de s’intéresser à d’autres types qu’à des fous ou des criminels. Derechef, les chanteurs remontèrent à leur tribune, et cette fois nous eûmes l’Évangéline chanté par trois voix mâles au travers desquelles passait le filet discret d’une voix de femme :