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CROQUIS LAURENTIENS

Je suis sorti de là le cœur serré et les yeux dans l’eau, mais content d’une occasion inespérée de faire discrètement la charité. Et pendant que notre petit cheval trottait alertement sur le sable, je pensais que, pour ceux-là, les admirables falaises de sanguine et d’ocre, la mer si bleue, si belle, la verdure ardente des collines et les mignonnes fleurs sous les pas, toutes ces choses n’ont pas de voix, et ne sont que le cadre ironique d’une souffrance.

J’en suis à ces réflexions un peu pénibles quand, passé les eaux verdâtres d’une lagune, voici venir, au pas besogneux de petits chevaux secouant leur crinière à chaque effort, une longue procession de charrettes. Sous la vive lumière du midi éclatent les coiffes blanches et les tabliers de calicot bleu. Grâces te soient rendues, qui que tu sois, divinité propice, qui plaças les poètes sur le chemin du pittoresque ! le spectacle que l’on voulait à tout prix me cacher ! les femmes de l’Étang-du-Nord allant aux coques !

Elles sont deux, femmes ou fillettes, dans chaque charrette avec la baille (cuve) et le pêche-coques. Laissant les chevals à la conduite des ornières, les Madelinotes, caquetant comme de dignes filles d’Ève, tricotent des bas et des gilets sous le clair soleil qui éclabousse ses rayons d’or sur les rayons d’argent des brochures (tricotages). Dans la mise proprette de ces femmes du peuple,