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LE HAVRE-AU-BER

… Le crissement du sable derrière nous vient rompre le charme — mais pour l’accentuer. Débouchant des taillis de vernes et de lauriers par le chemin qui nous a amenés nous-mêmes, une vache enjuguée, tirant une petite charrette madelinote, passe près de nous. Dans la caisse de la voiture, une vieille en coiffe noire se serre près d’une fillette qui tient le pêche-coques, sorte de trident formé d’un fer à cheval lié à une petite pique, avec quoi on fouille la plage pour atteindre les précieux mollusques. À l’arrière, un baquet recouvert d’un morceau de jute. Au pas somnolent de la vache, le pittoresque équipage s’éloigne sur l’immense platin laissant sur le sable mouillé deux raies sinueuses qui s’en vont, concourantes vers l’orbe du soleil couchant.

Ô peintres de mon pays ! Jusques à quand tâcherez-vous à barbouiller de chic, de vos pinceaux barbares, le château de Chilon ou les eaux perses où se mire le Rialto ? Ramassez vite tubes, palette et pincelier, roulez vos toiles et venez ici déployer vos pliants parmi les seigles sauvages et les fleurs pourpres des pois de mer : il n’est marine hollandaise qui vaille les Pêcheurs de coques du Havre-aux-Basques.

Je n’ignore pas que les gros bonnets du Havre-au-Ber n’aiment guère que les étrangers voient les femmes lever les coques. Ils essaient surtout de cacher cette curiosité à ceux qui ont