Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
CROQUIS LAURENTIENS

Drake, Leigh et Wyet étaient chassés à coups de canon par deux cents français et sauvages campés au Havre-aux-Basques.

Je ne crois pas qu’il me soit possible d’oublier jamais le spectacle qui frappa mes yeux lorsque, vers six heures du soir, notre jeune conducteur, ayant stimulé sa bête pour lui faire franchir un bourrelet de sable mou, nous arrêta sur la plage presque sans limites du Havre-aux-Basques. Le jour avait été superbe, lumineux et sans brume, et le soleil descendait lentement derrière l’Étang-du-Nord. La marée était basse. Devant nous l’immense plaine de sable humide, ridée par les courants de la mer en retraite, présentait aux fulgurations de la lumière mourante une alternance infinie d’étroits lisérés de sable d’or et d’argent liquide. Loin, très loin, minuscules dans l’étendue, se silhouettaient, immobiles, les petites charrettes des pêcheurs de coques. Le mirage doublait, haussait ces profils dispersés jusqu’à en faire, dans le grand calme vespéral, des méhara agenouillés pour laisser les chameliers arabes tourner leurs yeux priants vers une Mecque invisible. Si vaste était le tableau, si impressionnant le silence, que nous demeurions là, sans rien dire, subissant avec délices cet enivrant travail de conception par quoi la nature engendre en nous l’émotion esthétique.