Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/142

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
CROQUIS LAURENTIENS

— Vous avez entendu parler de Gamache, p’t-être ben ?

— Certainement ! Est-ce qu’il a vécu par ici ?

— Oui. Il est enterré là, en haut de la côte. Voulez-vous que je vous mène ?…

À notre gauche, une coupe d’une trentaine de pieds dans les alluvions caillouteuses borne la vue ; sur le rebord éboulé tremblent les fleurs blanches des zygadènes. Nous faisons encore un arpent, puis le conducteur, debout dans sa voiture, fait grimper Bob sur le monticule où achève de pourrir, entre deux épinettes solitaires, l’épitaphe de bois de Louis-Olivier Gamache. La pluie du ciel a presque entièrement lavé l’inscription, mais, qui ne sait pas l’histoire du sorcier d’Anticosti ?

Face à la mer, sur une falaise inculte où frissonnent nuit et jour les petits iris bleus dont le Golfe fleurit partout ses rivages, l’endroit est bien choisi, semble-t-il, pour perpétuer la légende et sacrer l’homme dans l’esprit des habitants. Pendant que mon compagnon de voyage essayait de déchiffrer les mots sur la planchette vermoulue, je songeais à ce curieux type d’homme, qui en plein XIXe siècle, osa s’inscrire en marge de la civilisation et des lois humaines, qui trouva sa volupté suprême à régner seul sur ce désert d’Anticosti. Cette originalité lui a valu de devenir célèbre. Gamache ne mourra pas : il est dans les livres ! Il