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LA POINTE-AUX-GRAINES

truées par des cordons littoraux, ont formé au pied des falaises, des lagunes envahies par les grands scirpes et les feuilles flottantes des rubaniers. Une végétation boréale, rabougrie par les vents du large, s’y est rassemblée, et, de ma vie de botaniste je n’ai vu lieu aussi étrange, où les forces de vie fussent à ce point tendues contre les forces de mort.

Il est soir, déjà, quand nous y arrivons. Une brume intense, accourue du Golfe depuis une heure, se résout en une pluie visqueuse qui ruisselle sur les suroîts. Duguay et Bob, l’un menant l’autre, ont pris les devants à la recherche du camp, pendant que je m’attarde à une récolte de rubaniers. À un détour de la falaise, je me trouve tout à coup devant la magnifique horreur de la Pointe-aux-Graines. Le paysage, développé en longues vagues de cailloutis blanchâtre presque dénudées, est effrayant. Du côté de terre, surgit une forêt naine d’épinettes mutilées et difformes qui se pelotonnent, font le gros dos, s’inclinent en arrière, s’arrondissent en cônes minuscules et si touffus que l’on peut vérifier facilement la légende — qui n’en est pas une — de l’Anticosti, lieu où l’on marche sur le sommet des arbres ! Toute cette forêt qu’un homme dépasse de la tête n’est cependant pas la hideur suprême : en avançant quelques arpents, l’on en découvre une autre, forêt morte celle-là, où tout un peuple de