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CROQUIS LAURENTIENS

Les points de repère du Reef sont les embouchures des nombreuses petites rivières. Elles se ressemblent toutes par la limpidité de leurs eaux poissonneuses, leur peu de profondeur, leurs cascatelles régulières et les délicieuses pirouettes qu’elles font dans la mer. Elles se ressemblent toutes, et pourtant, c’est toujours un enchantement nouveau. Pourquoi ne se lasse-t-on pas de regarder l’eau courir sur la pierre, de la voir s’ébrouer, s’argenter, s’iriser, de l’écouter chanter sa complexe et mystérieuse chanson ? C’est peut-être que rien ne mime davantage la vie, la vie divise et infiniment variée ; la vie qui coule, qui roule et qui passe, la vie qui heurte, qui pleure et qui chante, la vie qui murmure, la vie qui se gonfle et s’apaise, la vie qui s’en va et ne revient pas. Au fond — qui donc l’a dit ? — rien ne nous intéresse, que la vie !

Les falaises blanchâtres et surplombantes qui froncent sur l’eau bleue un gros sourcil de verdure broussailleuse, sont un des spectacles familiers du Reef. Secrètement alimentés par des infiltrations limpides et glacées, des rideaux de mousse pendent du sommet, remplissent les cavités, font oublier la tristesse des épinettes mortes qui se dressent sur le rebord, fantomatiques, tout embuées de la filasse grise des lichens, — parasites de la mort, qui prennent la couleur indécise de la brume où ils s’abreuvent nuit et jour !… Et ces