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CROQUIS LAURENTIENS

ne fait que de calmir, ils sont rentrés silencieux, vers la soupe et le lard froid. Maintenant qu’ils sont à table, le bruit des fourchettes et des cuillers venant à travers la porte grande ouverte, forme une symphonie naïve qui fait coucher le soleil. À ce moment le paysage tout entier s’abandonne à la lumière horizontale, au silence et à l’espace. Le ciel est d’un bleu tendre, d’un bleu transparent, d’un bleu de rien qui veut se faire pardonner d’être encore bleu quand tout se dore à la caresse du soleil.

Au delà du ponceau jeté sur le Ruisseau-Rouge, la Pointe-des-Sapins pousse dans l’eau pâle et muette la fine étrave de sa déclivité. En oubliant un peu, on ne voit plus qu’un navire immense et idéal, en partance pour un pays de rêve, gréé de mâts sans nombre où la féerie du couchant accroche des misaines violettes et des cordages d’or roux. Un peu plus loin, dans l’Anse, trois goélettes se laissent soulever par le pavois du montant, — miroir très pur, mais qui tremble un peu. Et de les voir ainsi, la vieille chanson malouine que, dans notre enfance, nous chantions tous, bourdonne à mes oreilles :


À Saint-Malo, beau port de mer
Trois beaux navires sont arrivés ;
         Nous irons sur l’eau !
Nous irons nous promener !
Nous irons jouer dans l’Île !
         Dans l’Île !