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LA CROIX DE L’ISLETTE

Devant nous, au ras des crans couverts de varech gluant, s’incline le vol noir des corneilles en maraude. L’une d’elles se pose un instant sur une épave, fouille du bec les algues brunes et reprend sa course oblique vers une goélette à l’ancre tout près. Combien jolie la petite goélette, avec sa coque verte et son bordage noir, immobile sur l’eau qui se ride un peu autour ! Je l’imagine fine marcheuse, et, sans le petit canot blanc qui, à cent pas, la garde comme un bon chien, elle profiterait — j’en suis sûr — du petit souffle qui se lève pour ouvrir d’elle-même ses ailes blanches, s’enfuir et courir de libres bordées sur le vaste fleuve bleu !

Mais le centre du paysage est bien la croix, la vieille croix noire qui rêve dans son petit enclos, entre les pyramides sombres des épinettes. Elle rêve un rêve silencieux et profond que fleurissent discrètement les églantiers épanouis sur ses pieds. Les bras étendus vers l’occident, elle attend, semble-t-il, le retour de l’apôtre au cœur de feu.

Le lieu n’a guère changé depuis les jours lointains où le Père de la Brosse célébrait ici, dans l’ombre des arbres verts, le rite eucharistique. C’est le même horizon, le même cri aigu des goélands, le même flot qui chante, tout pareil, sur les crans limoneux. Ces campanules bleues qui secouent dans le vent leurs grelots silencieux des-