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CROQUIS LAURENTIENS

ami Albert. L’heure, livrée au soleil ardent, au calme et au silence, est véritablement délicieuse. Perçant la verdure du talus, un rocher, rongé de lichens rouges, surplombe. Nous nous y asseyons pour regarder et pour rêver. Il a neigé autour de nous, ou bien ce sont les céraistes et les graciles arabettes qui font leur humble vie de fleur dont toute l’affaire est d’adoucir les angles, de couvrir les nudités et de parfumer les vents. Le village est loin déjà, et l’on n’entend plus rien que le bruissement des mouches ivres de la sanie des marsouins morts, couchés sur le flanc, là-bas.

Au nord, la ligne brutale des Câpes Raides dessine sur le ciel pâle un monstre noir accroupi dans la mer. Par un effet de mirage, la côte sud paraît toute proche ; la courbe onduleuse des collines bleues y chemine sous la solide banquise des nuages éclatants. Des groupes de points blancs que le soleil allume, marquent les villages. Voici Montmagny, plus bas le Cap Saint-Ignace, L’Islet, Saint-Jean-Port-Joli, Saint-Roch-des-Aulnaies. Ils dorment les villages, les beaux villages, enivrés de lumière et de paix. Entre eux et nous, au loin, sur l’eau miroitante, tremblent les fines perches de la pêche aux marsouins ; elles encerclent un espace immense où demain, effrayés par cet obstacle imaginaire, viendront s’enfermer pour mourir, les pourceaux de la mer, stupides et doux !