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PRÉFACE

colie d’enfant déraciné de son lointain village leur ajoutait souvent une tristesse latente et monotone comme les jours de pluie et de vent nord-est, qui montent du Golfe pour pleurer et s’écraser en hurlant sur les contre-forts du Cap Diamant. J’ai encore dans les yeux, aussi, l’horizon tendre de mai sur la vallée de la rivière Saint-Charles, avec les champs et les bosquets de Charlesbourg et de la côte de Beaupré, cette dernière reflétée dans les eaux calmes du vaste Saint-Laurent qui semble emporter dans son cours, vers quelque mystérieuse et solennelle destinée, le vaisseau allongé de l’Île d’Orléans. L’air printanier entrait dans la classe murmurante, la voix du professeur alternait avec celle d’un élève au tableau noir, et le soleil se jouait dans la vitre d’une image pieuse ou dans celle de l’armoire aux instruments de physique dont les noms trottent encore confusément en ma mémoire. Au dehors, un tombereau passait lourdement dans le silence de la rue tranquille, que ne troublait pas le roulement de ferrailles du tramway, encore inconnu à cette époque dans la cité québécoise.

Puis la voix d’un camarade s’élevait soudain, prononçant les courtes formules de prière qui marquent chacune des heures de la journée, pour les fils et les enfants de saint Jean-Baptiste de la Salle : « Souvenons-nous que nous sommes en la sainte présence de Dieu : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

« Bénis soient le jour et l’heure de la naissance, de la mort et de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

« Mon Dieu, je vous donne mon cœur, faites-moi la grâce de passer cette heure et le reste de ce jour dans votre saint amour et sans vous offenser. »

Et pour peu que la leçon suivante, car la prière marquait la transition entre deux sujets d’étude, portât sur l’histoire du Canada et les premiers temps de la Nouvelle-France, il semblait que c’était hier encore que la première moisson avait mûri, sous le regard ému de Louis Hébert et de Mon-