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LA COCHE.

Aymer ne puis, je n’ay point la puissance,
Car long temps ha qu’en luy mis mon vouloir,
Et en perdis du tout la jouyssance.
Las ! cœur, qui n’as d’une autre aymer povoir,
Et d’estre aymé as perdu le plaisir,
Tu n’as pas tort de te plaindre et douloir.
Regarde, Amy, si tu as le loisir,
S’il est tourment qui soit au mien semblable,
N’ayant nul bien, ne de nul bien desir.
Je n’ay nul bien, te congnoissant muable ;
N’y je n’en veux, craingnant de rencontrer
Amy que toy moins parfait, variable.
D’aussi parfait l’on ne m’en peult monstrer,
Quant à beauté, vertu et bonne grace,
Sur qui n’y ayt nul vice à remonstrer.
Et qu’un qui fust moindre que toy j’aymasse,
Plustost mourrois que de m’y consentir ;
Point ne mettray mon amitié si basse.
Je ne me puys et me veux repentir
De ceste Amour : fermeté la tient forte ;
Mais la douleur la veult aneantir.
Fut il jamais douleur de même sorte ?
J’ayme un Amy qui dit m’aymer ; mais quoy ?
Je voy et sçay qu’Amour est en luy morte.
Laisser le doy, car clerement je voy
Qu’il est menteur ; mais mon Amour honneste
Ne me permet faire ce que je doy,