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LA COCHE.

Car en t’aymant ma vie je consume,
Et, en sentant que tu ne m’aymes point,
Mon cœur se fait de patience enclume.
Il est au tien, ainsi comme il fut, joint ;
Et le tien non, bien qu’en mentant tu dis
Qu’il est tout mien : et Dieu le te pardoint !
Qu’est devenu le regard de jadis,
Qui messager estoit de ton feint cœur,
A qui du mien jamais ne contredis ?
Et le parler, qui par douce liqueur
Le rendoit mol et foible à se defendre,
Dont toy, Amy, demourois le vainqueur ?
Tu dis m’aymer : mais qui le peult entendre,
Quand tous les tours et les signes d’Amour
En toy voy morts et convertis en cendre ?
O malheureux pour moy ce premier jour
Où je cuydois mon heur prendre naissance,
Et pour jamais faire en moy son sejour !
Or ne voy plus en toy forme ne essence
De ceste Amour que je cuydois si ferme.
Je n’en ay plus tant soit peu congnoissance.
J’ay bien douté souvent (je te l’afferme)
Qu’en autre lieu eusse ton Amour mise,
Qui t’eust mis hors de cest honneste terme.
La verité diligentement quise
J’ay sans cesser, et trouvé pour certain
Que tu ne l’as encor en nulle assise.