Page:Marguerite de Navarre - Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, t. 3, éd. Frank, 1873.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
COMPLAINTE

De Jesuchrist ton Seigneur et ton maistre,
En ta prison asseuré pourrois estre
D’avoir pour toy un Seigneur souverain,
Qui tient les cœurs des Princes en sa main.
Mais quoy, helas ! voudrois je donc conclure,
Estant surpris de ce mal que j’endure,
Que l’Eternel ne fust de mon cousté ?
Nenny, mon Dieu : je t’ay trop cher cousté,
Pour estre ainsi de ton cœur oublié.
Et puis tu sçais que je t’ay deslié
Mon entreprise, et mon cœur espandu.
Tu sçais si j’ay en mon fait pretendu
Chose qui soit contraire à ton honneur,
Ou pour d’autruy empescher le bon heur.
Si j’ay jetté la pierre emmy la voye,
En espiant quand l’aveugle s’avoye,
Tant seulement pour le faire bruncher,
Je puisse ainsi lourdement trebucher ;
Si j’ay voulu de l’homme sourd mesdire,
De mon malheur puisse chacun se rire ;
Si j’ay voulu mon ennemy blesser,
Ou faulsement le faire renverser ;
Si faulsement luy ay forgé diffame,
Que l’ennemy persecute mon ame,
A tousjours mais qu’il attrappe ma vie
Et de mon sang qu’il passe son envie ;
Si j’ay mon cœur aux clameurs endurcy