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FARCE DES FILLES

Et le Temps, qui doulcement passe
Sans que vostre vertu s’esface,
Vous feront changer de propouz,
Trembler le cœur, battre les poulx,
Et sentir le doulx & l’amer
Que l’on peult souffrir pour aymer.

La Première Fille.

Je n’en croy riens. Je tiendray ferme,
Ne jà n’auray à l’œil la lerme
Pour souffrir nulle passion,
Ne d’Amour ny d’affection.

La Vieille.

Vous ne trouvez, par ignorance,
A ma prophétye apparence,
Mais, quand le cas vous adviendra,
De la Vieille vous souviendra.

La Seconde Fille.

Je crains, Madame, & veux sçavoir
Si le temps aura le pouvoir
De changer ma grant amyité.

La Vieille.

Fille, vous me faictes pitié,
Car vostre grand contantement
Ne sçauroit durer longuement.
Le cueur d’un homme est si muable,
Le temps est si très variable,
Les occasions qui surviennent,
Les parolles qui vont & viennent,