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ET DES MARIÉES

Pour recevoir ny donner reconfort
A mon amy, qui m’ayme si très fort,
Car je crains trop honneur & conscience ;
Durer ne puis sans secours, ou sans mort ;
Je perds le sens, raison & patience.

La Seconde Femme.

Si mon ennuy il vous plaist d’escoutter,
Qui dans mon cœur a prins source & naissance,
Possible n’est que vous puissiez doubter
Que vous ayez jamais eu congnoissance
De nul plus grand ; car j’ay eu joyssance
Du plus grand heur qui m’eust sçeu advenir.
Mais quoy ? Le temps, par sa longue puissance,
M’a faict cest heur tout malheur devenir.

Car plus parfait ne sçauroict soustenir
Que mon mary ceste mortelle Terre ;
Je le pensoys toute seule tenir ;
Las, je veoy bien que trop follement j’erre.
Il ayme ailleurs. Voylà ma mort, ma guerre ;
Je ne le puys souffrir, ne comporter ;
Je prie à Dieu qu’un esclat de tonnerre
Sa Dame ou moy puisse tost emporter.

Je ne voy rien pour me réconforter.
Par tout le cherche, & de le veoir j’ay crainte ;
Car je ne puys, le voyant, supporter
Qu’il ayme ailleurs à bon essiant sans faincte.
Pour quelque temps je me suis bien contraincte
De l’endurer, cellant ma passion,