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POÉSIES INÉDITES

Sans m’en vouloir ne m’en ouyr parler ?
Mais voulez vous, avant ouyr, juger
Innocent cœur, très facile à purger ?
Estimés vous le cœur meschant & lasche,
Qui envers vous n’en eust oncq nulle tache ?
Vous le croyez ; ainsi croyés le doncques ;
Croyez de moy le mal qui n’y fust oncques,
Croyez de moy, contre la vérité,
Tout le rebours de ce que ay merité,
Jà n’en sera mon visaige confuz,
Car je sçay bien quelle je suis & fus
En vostre endroit, & yver & esté,
Et quel aussi m’estes & avez esté.
J’ay le cœur nect &, la teste levée,
Pleine d’amour très ferme & esprouvée,
Je puis aller, mais sus tout ne refuse
De mon bon droict faire jamais excuse.
Pensez de moy ce qu’il vous plaist penser ;
Je ne vous veulx courroulcer ne offencer,
Puisque voulez nostre amictié parfaicte
Estre soubdain par souppeçon deffaicte.
C’est doncques vous, de cruelle nature,
Qui, sans propos, en faictes la roupture.
Vous le voulez ; garder ne vous en puis,
Bien que du tout en l’estrémité suis
De désespoir, voyant mon innocence,
Ma vraye amour avoir pour récompense
Un tel adieu, par lequel m’accusez,
Du meschant cas dont assez vous usez :
C’est d’en aymer un aultre avecques vous.
Il n’est pas vray, je le dis devant tous,
Et Dieu, qui veoid le profond de mon cœur