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XLVe NOUVELLE

fort marry. Mais luy, qui sçavoit donner couleur à toute tapisserie, pensa si bien colorer ce faict que sa commère seroyt aussi bien trompée que sa femme &, si tost qu’il fut recouché, feyt lever sa femme du lict toute en chemise, & la mena au jardin comme il avoyt mené sa Chamberière, & se joua long temps avecq elle de la neige comme il avoit faict avecq l’autre, & puis luy bailla des Innocens tout ainsy qu’il avoyt faict à sa Chamberière, & après s’en allèrent tous deux coucher.

Quant ceste bonne femme alla à la messe, sa voisine & bonne amye ne faillyt de s’y trouver &, du grand zèle qu’elle avoyt, luy pria, sans luy en vouloir dire davantaige, qu’elle voulsist chasser sa Chamberière & que c’estoit une très mauvaise & dangereuse garse, ce qu’elle ne voulut faire sans sçavoir pourquoy sa voisine l’avoyt en si mauvaise estime, qui à la fin luy compta comme elle l’avoyt veue au matin en son jardin avecq son mary.

La bonne femme se print à rire si fort en luy disant : « Hé, ma commère, m’amye, c’estoit moy.

— Comment, ma commère ? Elle estoit toute en chemise, au matin environ les cinq heures. »

La bonne femme luy respondit : « Par ma foy, ma commère, c’estoyt moy. »

L’autre, continuant son propos : « Ilz se bailloient de la neige l’un à l’autre, puis aux tetins,