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XLIIIJe NOUVELLE

toutes de se marier à volonté, quants mariages cornuz trouveroit l’on ? Est il à présupposer qu’un jeune homme & une fille de douze ou quinze ans sçachent ce que leur est propre ? Qui regarderoit bien le contentement de tous les mariages, on trouveroit qu’il y en a pour le moins autant de ceux qui se sont faicts par amourettes dont les yssues en sont mauvaises, que de ceux qui ont esté faicts forcément, pource que les jeunes gens, qui ne sçavent ce qui leur est propre, se prennent au premier qu’ils trouvent, sans considération, puis peu à peu ils descouvrent leurs erreurs, qui les faict entrer en de plus grandes, là où, au contraire, la plus part de ceux qui se font forcément procèdent du discours de ceux qui ont plus veu & ont plus de jugement que ceux à qui plus il touche, en sorte que, quand ils viennent à sentir le bien qu’ils ne cognoissoient, ils le savourent & embrassent beaucoup plus avidement & de plus grande affection.

— Voire, mais vous ne dictes pas, ma Dame, » dist Hircan, « que la fille estoit en hault aage, nubile, cognoissant l’iniquité du père, qui laissoit moisir son pucellage de peur de démoisir ses escuz. Et ne savez vous pas que nature est coquine ? Elle aimoit, elle estoit aimée ; elle trouvoit son bien prest & si se pouvoit souvenir du proverbe que tel refuse qui après muse. Toutes ces choses, avecques la prompte exécution du poursuyvant, ne luy donnèrent pas loisir de se rebeller. Aussi avez vous oy qu’incontinent après on cogneut bien à sa face qu’il y avoit en elle quelque mutation notable. C’estoit peut estre l’ennuy du peu de loisir qu’elle avoit eu pour juger si telle chose estoit bonne ou mauvaise, car elle ne se feit pas