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Ve JOURNÉE

du père, qui estoit si serrant qu’il luy sembloit que ce qu’il tenoit en une main l’autre luy desrobboit.


« Voilà, mes Dames, une amitié bien commencée, bien continuée, & mieux finie ; car, encores que ce soit le commun d’entre vous hommes de desdaigner une fille ou femme depuis qu’elle vous a esté libérale de ce que vous cherchez le plus en elle, si est ce que ce jeune homme, estant poulsé de bonne & sincère amour & ayant congneu en s’amie ce que tout mary desire en la fille qu’il espouse, & aussi la congnoissant de bonne lignée & sage, au reste de la faulte que luy mesme avoit commise, ne voulut point adultérer, ny estre cause ailleurs d’un mauvais mariage, en quoi je le trouve grandement louable.

— Si est ce, » dist Oisille, « qu’ils sont tous deux dignes de blasme, voire le tiers aussi, qui se faisoit ministre ou du moins adhérant à un tel violement.

— M’appellez vous cela violement, » dist Saffredent, « quand les deux parties en sont bien d’accord ? Est il meilleur mariage que cestuy là, qui se fait ainsi d’amourettes ? C’est pourquoy on dict en proverbe que les mariages se font au ciel, mais cela ne s’entend pas des mariages forcez, ny qui se font à prix d’argent & qui sont tenuz pour très approuvez depuis que le père & la mère y ont donné consentement.

— Vous en direz ce que vous vouldrez, » répliqua Oisille, « si fault il que nous recognoissions l’obéissance paternelle &, par deffault d’icelle, avoir recours aux autres parens. Autrement, s’il estoit permis à tous & à