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XLIJe NOUVELLE

se povoyt nommer la forte femme. Puis que vous estimez la grandeur de la vertu par la mortisfication de soy mesmes, je dictz que ce Seigneur estoyt plus louable qu’elle, veu l’amour qu’il luy portoyt, la puissance, occasion & moïen qu’il en avoyt, & toutesfoys ne voulut poinct offenser la reigle de vraie amytié, qui esgalle le Prince & le pauvre, mais usa des moïens que l’honnesteté permect.

— Il y en a beaucoup, » dist Hircan, « qui n’eussent pas faict ainsy.

— De tant plus est il à estimer, » dist Longarine, « qu’il a vaincu la commune malice des hommes, car qui peut faire mal & ne le faict poinct, cestuy là est bien heureux.

— À ce propos, » dist Geburon, « vous me faictes souvenir d’une qui avoyt plus de craincte d’offenser les œilz des hommes qu’elle n’avoyt Dieu, son honneur ne l’amour.

— Or je vous prie, » dist Parlamente, « que vous nous la comptiez, & je vous donne ma voix.

– Il y a, » dist Geburon, « des personnes qui n’ont poinct de Dieu, ou, s’ilz en croyent quelcun, l’estiment quelque chose si loing d’eulx qu’i ne peult veoir ny entendre les mauvaises œuvres qu’ilz font ; &, encores qu’ilz les voient, pensent qu’il soyt nonchaillant qu’il ne les pugnisse poinct, comme ne se soucyant des choses de çà bas. Et de ceste opinion mesmes estoit une Damoiselle, de laquelle, pour l’honneur de la race, je changeray le nom & la nommeray Jambicque. Elle disoit souvent que la personne qui n’avoyt à faire que de Dieu estoit bien heureuse, si au demeurant elle povoyt bien conserver son honneur devant les hommes. Mais